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Opium, guerre : le "narco-Etat" afghan
LE MONDE | 13.12.07 | 14h31  •  Mis à jour le 13.12.07 | 14h31
PROVINCES DE KANDAHAR ET D'HELMAND (SUD DE L'AFGHANISTAN) ENVOYÉ SPÉCIAL
  
L'expression "narco-Etat" ne figure dans aucun discours ni rapport officiel. L'utiliser reviendrait à accuser implicitement la communauté internationale, et notamment ses principaux relais en Afghanistan, l'Alliance atlantique, les Nations unies, les Etats-Unis, de porter une lourde responsabilité dans une faillite collective : en 2007, l'Afghanistan a produit 93 % de l'opium mondial, 8 200 tonnes exactement, soit deux fois le niveau de 2005, deux fois aussi le montant de la demande mondiale annuelle d'héroïne. L'opium et la violence font bon ménage : depuis que, en 2001, la "guerre globale contre le terrorisme" a été lancée sur son sol par les Américains, l'Afghanistan n'a cessé de battre ses propres records de production d'opium. L'argent de la drogue (quelque 4 milliards de dollars, soit 53 % du produit national brut afghan) est un cancer qui corrompt le gouvernement, ronge la société afghane en la rendant dépendante d'une activité économique lucrative et mine un développement équilibré. Si personne ne conteste ce diagnostic, la communauté internationale n'est pas capable de le traduire dans une stratégie globale pour l'Afghanistan.

Ce n'est pas dû au hasard : dans le Sud, la province d'Helmand, qui produit plus de la moitié de l'opium afghan (+ 48% d'augmentation en 2007), est aussi celle, avec sa voisine de Kandahar, où les combats entre les talibans et les soldats de la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) sont les plus intenses.

Depuis 2002, tous les efforts pour réduire la production d'opium ont échoué. Des millions de dollars ont été dépensés, de multiples opérations et politiques anti-narcotiques ont été annoncées, essayées, en pure perte. L'OTAN récuse toute responsabilité dans la lutte contre le narco-trafic. Sollicitée, elle apporte son concours militaire à l'armée afghane et, pour le reste, elle s'en tient à sa mission officielle : la sécurisation et la stabilisation, comme si, en Afghanistan, l'opium n'était pas le dénominateur commun de toutes choses, comme si les populations des pays de l'Alliance n'étaient pas les premières victimes de l'héroïne afghane...

"Narco-Etat" ? Si, jusqu'aux années 1990, l'opium était exporté vers le Pakistan, aujourd'hui toute la filière de la drogue est contrôlée en Afghanistan, de grandes quantités d'anhydride acétique étant importées pour transformer l'opium en héroïne. Alors qu'une partie du gouvernement d'Hamid Karzaï soutient les opérations d'éradication du pavot, l'autre s'efforce, avec succès, de les torpiller.

Le président afghan demande la mobilisation de la communauté internationale pour lutter contre ce fléau, mais, comme le rappelle un rapport de l'International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres, le nom de son propre frère, Ahmed Wali Karzaï, est cité parmi les personnalités les plus impliquées dans le trafic de drogue. Il n'est pas le seul : une demi-douzaine de ministres, des centaines de fonctionnaires, des milliers de policiers, de responsables militaires, de gouverneurs et de chefs de district perçoivent leur dîme dans un système national de "protections" à caractère mafieux.

Dans les provinces, les positions d'influence, notamment dans la police, s'achètent au prix fort. A Kaboul, un expert de la lutte antidrogue cite l'exemple d'un chef de la police d'une province du Sud "qui empoche 400 000 dollars par mois". "La drogue et le commerce des armes, souligne-t-il, partagent une unique chaîne de commande : ce sont les mêmes trafiquants qui exportent la drogue à l'extérieur de l'Afghanistan et y importent des armes et des munitions".

Taxés par les chefs de guerre, la police et l'administration locale, les cultivateurs de pavot doivent acquitter un "impôt islamique" compris entre 10 % et 20 % de la valeur de leur production. L'époque (en juillet 2000) où le mollah Omar avait décrété la culture du pavot contraire à l'islam est loin. Les talibans se sont rendu compte que l'interdiction de la culture du pavot, très impopulaire dans les campagnes, nuisait à leur cause. Ils l'ont donc encouragée : la nuit, des lettres de menaces sont placardées sur les portes des paysans qui font mine d'abandonner l'opium.

Les barons de la drogue sont d'autant plus difficiles à appréhender que les sommes colossales générées par ce trafic transitent par un système financier informel, le hawala, dont les comptes se règlent à Dubaï et au Pakistan.

La communauté internationale s'est préoccupée tardivement et sans détermination des conséquences du boom de l'opium sur la guerre. La Grande-Bretagne est le seul pays (il est vrai mandaté par le G8) qui se soit engagé dans la lutte contre la drogue. "En 2002, rapporte un expert à Kaboul, les Britanniques se sont attaqués au problème de l'opium en rachetant les récoltes, mais en versant cet argent au gouvernement. Les fermiers en ont touché une infime partie et le reste a "disparu". L'année suivante, tout le monde s'est mis à la culture du pavot."

Dans certains endroits, une somme forfaitaire de 350 dollars a été versée aux agriculteurs acceptant de renoncer au poppy (pavot), ce qui a incité ceux qui n'avaient pas encore succombé à abandonner les cultures vivrières. Ailleurs, une poppy clause a été signée entre la communauté villageoise et le Bureau des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) : des projets de développement étaient promis en échange de l'arrêt de la culture du pavot. Certains villages ont alors menacé d'opter pour l'opium afin d'obtenir des projets de développement.

Les Britanniques, comme la plupart des pays européens, continuent de s'opposer à la politique d'éradication forcée que privilégient les Américains. La Poppy Eradication Force, entraînée par DynCorp, une société privée américaine de sécurité, a obtenu quelques résultats et provoqué beaucoup de "dommages collatéraux" : les gouverneurs ont épargné leurs obligés et ont concentré l'éradication sur les champs des paysans les plus pauvres. Ce qui n'empêche pas les Etats-Unis de prôner des méthodes radicales, comme l'épandage aérien d'herbicides ou la dispersion de produits chimiques. En dépit des pressions américaines, le président Karzaï s'est opposé à une telle escalade.

"Les Afghans, rapporte un diplomate européen, réagissent mal à ces tentatives désordonnées. "Les Américains, disent-ils, nous tuent avec leurs bombes et détruisent nos sources de revenus en supprimant l'opium. Ils veulent maintenant nous empoisonner avec des produits chimiques et rendre notre terre stérile !""

Cet enjeu de la communication sur la lutte contre la drogue est vital pour le sort de la guerre qui se joue dans le Sud. La politique d'éradication n'est acceptable qu'avec une stratégie durable de développement économique, sauf à risquer une grave paupérisation des campagnes afghanes. Comme une telle volonté politique n'apparaît pas, il y a de fortes chances que la drogue - et la guerre - perdurent en Afghanistan.
Laurent Zecchini
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