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Accueil arrow L'Afghanistan arrow Actualites Recentes arrow 10.04.07-Duo de porte-avions dans la guerre afghane

Le jour est à peine levé quand le pont d'envol de 358 mètres du porte-avions américain Stennis s'éveille. Les chasseurs-bombardiers F-18 Hornet et les avions de guet aérien Hawkeye ont encore leurs ailes repliées, les réacteurs sont silencieux, les mécanos étouffent des bâillements. C'est un calme apparent : cette ville de quelque 5 500 hommes et femmes qui vit au rythme des avions n'a pris du repos que par roulements.

Des appareils sont rentrés tard dans la nuit de leurs missions au-dessus de l'Afghanistan, et les vérifications pour la première "pontée" du début de l'après-midi sont entamées. Dans les entrailles du navire, la ruche n'a pas cessé de vaquer à de multiples tâches, et de se nourrir : les verres de "coke" qui coulent des distributeurs débordent de glaçons et les hamburgers sont couverts de ketchup et de French fries.

A quelque 50 milles de là (92 kilomètres), le porte-avions Charles-de-Gaulle (CDG) est plus avancé dans son activité aérienne : ses avions Rafale et Super-Etendard décollent dès le matin (les F-18 volent l'après-midi et toute la nuit) pour des missions de surveillance aérienne ou de soutien aux troupes terrestres de la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) de l'OTAN engagées dans les opérations militaires contre les talibans.

Le CDG, qui est sur zone depuis la mi-mars, avait été précédé de trois semaines par le Stennis. Le second croise à quelque 160 milles au large de la côte pakistanaise, et le CDG, dont les avions, disent les marins, ont des "pattes" plus courtes, à 90 milles du rivage. Le golfe Arabo-Persique est à moins de deux jours de mer, mais les deux porte-avions n'ont pas de raison de franchir le détroit d'Ormuz : le porte-avions américain Eisenhower navigue dans le Golfe avec son groupe aéronaval, dans le cadre de l'opération "Iraki Freedom" (Liberté de l'Irak).

Les avions des deux navires reçoivent leurs missions du Centre des opérations aériennes (CAOC) de la coalition de lutte contre le terrorisme, situé à Al-Udeid, au Qatar, dont l'une des branches est dédiée aux opérations en Irak, l'autre à l'Afghanistan. Chaque matin, le CAOC diffuse la feuille de route des missions qu'il a planifiées pour la journée, en fonction des demandes formulées par l'ISAF. La plupart de celles-ci sont cependant imprévisibles : les avions de la coalition se contentent de gagner le ciel afghan, attendant que le commandement au sol leur assigne une mission de surveillance, de reconnaissance photographique, de "show of force" (le passage des avions à basse altitude suffit souvent à disperser les combattants isolés), ou de bombardement d'objectifs.

En dépit de leur différence de taille (le pont du Charles-de-Gaulle est long de 261 mètres ; il déplace 42 000 tonnes, contre 97 000 tonnes pour le Stennis), de cultures nationales différentes, les deux porte-avions ont un mode opératoire très semblable. En vagues successives, les F-18, Rafale marine, Super Etendard, Hawkeye (commun aux deux porte-avions), ainsi que les EA-6 Prowler américains spécialisés dans la guerre électronique, ont pris l'air dans le vacarme des réacteurs et la fumée blanche des catapultes. Sur chaque pont, les mécaniciens et les "chiens jaunes" (personnel du pont) s'activent dans un ballet harassant et rigoureux.

A partir de la côte pakistanaise, les avions montent vers le Nord, empruntant le driveway, ce couloir aérien de 30 "nautiques" (55 kilomètres) de large situé à quelques dizaines de kilomètres de la frontière iranienne. Les missions sont de 6 à 8 heures pour les Américains, et de 5 à 6 heures pour les avions français, avec 3 ou 4 ravitaillements.

Dans le ciel afghan, les Rafale marine et Super-Etendard retrouvent les Rafale air et les Mirage 2000 français qui interviennent à partir de Douchanbé, au Tadjikistan, tandis que les F-18 du Stennis se mêlent aux chasseurs américains, britanniques, néerlandais, allemands et belges qui ont décollé des bases de Bagram, Kandahar et Mazar-e-Charif. Avec les avions ravitailleurs, les hélicoptères et les drones, plus de 110 aéronefs tournent en moyenne au-dessus de l'Afghanistan.

Indifféremment ou presque, ces avions sont sollicités par le commandement terrestre de l'ISAF, en fonction des besoins tactiques. "Il est assez rare que nous ayons à lâcher nos bombes, explique le lieutenant Steve Neebe, pilote de F-18. Sauf en cas de légitime défense, nous n'utilisons nos armes qu'après avoir reçu un feu vert du JTAC (le spécialiste qui, au sol, guide le pilote sur l'objectif). Le dogme, ajoute-t-il, c'est d'éviter tous dommages collatéraux. Je serais vraiment bouleversé si je commettais une erreur de cible. En même temps, les gars au sol ont vraiment besoin de nous, de nos informations et de notre appui-feu, parce que c'est leur vie qui est en jeu."

Les pilotes américains ont le choix entre des bombes guidées laser et des bombes guidées GPS de 250 kg, alors que les Français n'ont à leur disposition que les premières. La différence entre les deux munitions suscite une polémique feutrée : les bombes guidées laser sont larguées après un passage à vue qui permet d'éviter des erreurs de cible, mais elles supposent des conditions atmosphériques dégagées.

Les secondes s'en affranchissent, puisque le pilote ne fait que rentrer dans son système de tir les coordonnées GPS (longitude et latitude) de la cible fournies par le JTAC. Dans le second cas, le risque de "dommages collatéraux" parmi la population civile est nettement plus élevé. Les règles d'engagement des pilotes français sont strictes : "Les mosquées, monuments historiques, écoles, centres hospitaliers, ne peuvent constituer des objectifs militaires, et nous nous interdisons de tirer sur une cible située à moins de 300 mètres d'une zone urbaine", explique un officier supérieur, qui ajoute : "Pour nous, l'Afghanistan n'est pas un pays ennemi, mais ami. Les Américains ont une autre approche : ils sont en guerre globale contre le terrorisme, et cela justifie des méthodes différentes."
Celles-ci ont parfois des conséquences officieuses non négligeables : sachant que les avions français sont "moins souples", et qu'un avion américain est utilisable dans toutes les configurations, le commandement au sol a tendance à privilégier les avions de telle ou telle nationalité, en fonction des objectifs à atteindre. "Nous avons des critères intangibles et très précis concernant la délivrance de nos armements, et notre action est surtout dissuasive", confirme le capitaine de Frégate Patrick Zimmermann, qui commande le groupe aérien embarqué du Charles-de-Gaulle.


"C'est parfois très difficile d'éviter les dommages collatéraux", admet le capitaine Danny Youngberg, pilote de F-18. A Al-Udeid, le représentant français au sein du CAOC, qui écoute le trafic radio, peut s'opposer à une mission demandée par le commandement de l'ISAF. Le "show of presence" et le "show of force" sont privilégiés, d'autant que les concentrations de talibans dépassent rarement 150 combattants. Alors qu'ils ont assumé plusieurs centaines de missions en Afghanistan depuis juin 2006, les avions français n'ont largué qu'un peu plus d'une trentaine de bombes.

Les spécialistes français du renseignement estiment qu'il est très exagéré de parler d'"offensive de printemps" de la rébellion afghane, et évoquent de simples tactiques de "harcèlement". Montrant une carte des zones de la culture du pavot qui se superpose presque exactement avec celle des affrontements armés et les découvertes de caches d'armes (au sud et à l'est du pays), ils tablent sur une intensification des combats au moment de la récolte de l'opium, en mai.

Français et Américains ont noué une coopération d'autant plus étroite que les marines des deux pays ont l'habitude de travailler ensemble dans le cadre de l'OTAN. Tout est fait pour accentuer leur rapprochement. En mer d'Arabie, à tour de rôle, des hélicoptères français et américains effectuent une noria quotidienne entre les deux bâtiments, pour transporter une demi-douzaine de marins du Charles-de-Gaulle, qui passeront la nuit sur le Stennis, et réciproquement. Les Américains sont curieux de découvrir le "petit" "Charles", et son confort. Le plus grand poste d'équipage à bord du porte-avions français héberge 20 marins, contre... 250 sur le Stennis. C'est aussi l'occasion de boire quelques bières, puisque l'alcool est prohibé à bord des navires de l'US Navy.

Les échanges entre les deux marines ont cependant des limites, les services de renseignement des deux porte-avions ne s'échangeant pas leurs informations. Unis dans la lutte contre le terrorisme, le Charles-de-Gaulle et le Stennis voguent de conserve en mer d'Arabie, mais avec des fuseaux horaires différents : le Stennis est en "Delta time" et le Charles-de-Gaulle en "Foxtrot time". Et il y a deux heures d'écart...

Laurent Zecchini

LE MONDE | 10.04.07 | 14h35  •  Mis à jour le 10.04.07 | 14h35
MER D'OMAN ENVOYÉ SPÉCIAL (à bord des porte-avions "Stennis" et "Charles-de-Gaulle")

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